J'ai intitulé ce projet Dódeca (douze en grec), pour diverses raisons : je le crée douze ans après mon arrivée par mer, après avoir navigué, sur l'île de Leros, presque au centre des Dodikanisos, l'archipel grec des douze îles . Et enfin, par souci d'harmonie, j'ai divisé la collection d'images en douze thèmes.
Mon travail photographique en noir et blanc sur l'île de Leros a reçu de belles citations du célèbre écrivain italien Erri De Luca : « Je feuillette l'album réticent d'un amoureux des îles. Réticent parce qu'il s'en tient au noir et blanc, comme si nous, étrangers, n'avions pas le droit d'être témoins des couleurs. …
Les hommes et les femmes de ces images habitent leur place sans enchantement, coincés au chaud dans l’anneau de la beauté, qui n’est ni poudre, ni peinture, ni scintillement. La beauté est substance, force et aventure des vagues. Ici, les habitants sont entourés par l’élément qui constitue la majorité de la planète. C’est donc l’île, et non le continent, qui est à l’image et à la ressemblance du monde. Pour nous, en Méditerranée, les ports sont plus nécessaires que les gares. Dans cette galerie de clichés il y a l'élan retenu de l'admiration, qui ne se permet pas l'accent, l'approche inappropriée. De tant de civilisation et d'histoire qui ont abouti à des poèmes et des tragédies récités sur toutes les scènes du monde, la gravité d'un reproche au passé reste dans les visages. J'entrevois leur inquiétude d'être petits-enfants d'ancêtres dépensiers qui ont laissé une splendeur de ruines, après avoir dilapidé les divinités et les Olympiens et après avoir vu leur vocabulaire pillé par toutes les langues du monde. Par dépit, ils appellent leur tramway une métaphore et toute sortie : exode. À ces descendants des fêtes mythologiques solennelles, le photographe vole, avec l'image, l'ombre, qui est la tache laissée sur le sol ou sur un mur par l'âme grecque. »